Dans son « Manifeste du Tiers Paysage », Gilles Clément nous donne sa définition de ces lieux, de ces zones du territoire qui ne rencontrent pas les critères de classification administrative ou qui se retrouvent abandonnés, du fait des difficultés d’en exploiter mécaniquement ou économiquement les ressources. Ces friches et autres terrains à l’abandon qu’il appelle « les délaissés », sont les reliquats des politiques d’aménagement du territoire. Inadaptés aux mécaniques agricoles, aux spéculations immobilières ou en attente de décisions politiques, les délaissés permettent au vivant de se redéployer sur ces terres inoccupées et deviennent de ce fait, des refuges pour toutes les espèces ne trouvant plus de place ailleurs.
Il en va parfois des êtres humains comme des paysages. Certains d’entre nous, de plus en plus nombreux, se retrouvent repoussés dans les marges d’un système que les contraintes administratives ou économiques poussent à chercher refuge ailleurs.
Depuis l’instauration des mesures d’austérités imposées par les gouvernements Européens suite a la crise financière de 2008, de nombreuses personnes partout en Europe on vu leurs droits rabotés et le nombre d’exclus du chômage ne cesse d’augmenter.
En dernier recours, ceux qui sont privés de leurs allocations de chômage sont susceptibles de faire appel au revenu d’intégration social par l’intermédiaire des CPAS. Cette aide, censée assurer un revenu minimum vital, impose en contrepartie un contrôle intensif des activités, revenus, comptes bancaires ou situations familiales des allocataires. On observe dès lors que le nombre de demandeurs pour ce revenu de la dernière chance est sensiblement inférieur au nombre de personnes exclues du chômage. En conséquence, on estime que ce sont plusieurs milliers de personnes en Belgique, des dizaines voire des centaines de milliers en Europe qui se retrouvent hors de tout système de contrôle ou d’accompagnement social. Ils disparaissent totalement des statistiques et des radars de l’administration, échappent aux « programmes de réinsertion » et s’évanouissent dans les angles morts du système.
Les bureaux d’études européen ont donné un nom à ce phénomène massif de désaffiliation sociale, à cette désertion d’une part de la population dont on perd irrémédiablement la trace et qui évolue, en mode survie, dans l’obscurité créative de réseaux alternatifs ou malheureusement le plus souvent, dans l’opacité étouffante de la précarité et de l’isolement : on le nomme Sherwoodisation.